Rin Age : 30 Messages : 307
| Jeu 21 Aoû 2014 - 5:35 | |
| Mon précédent sujet ayant atteint la limite de caractères, je me vois dans l'obligation de continuer mon histoire ici ! Enjoy Part VI - Spoiler:
L’espionne faisait les cent pas dans son petit salon lorsque Hiris Bais fit irruption dans la pièce, apparaissant soudainement de derrière la tapisserie qui dissimulait l’entrée du passage secret. Selenia arrêta de tourner en rond un instant pour lui adresser un signe de tête. Son second s’inclina brièvement et s’assit sur la chaise la plus proche en silence. Les sourcils froncés, la jeune femme parcourut son salon en long et en large pendant encore de longues minutes, ses pieds nus ne faisant aucun bruit sur l’épais tapis qui recouvrait le sol de pierres froides. Hiris la suivait tranquillement des yeux ; il avait l’habitude de la voir tourner en rond ainsi avant qu’elle ne lui dît pourquoi elle l’avait fait venir. « Hiris. » La jeune femme ne s’arrêta pas pour autant. « Maître ? -La nouvelle du mariage a déjà filtré. -Mais… comment est-ce possible ? Seuls le Conseil et Dame Stanti étaient au courant. -C’est ce que tu vas trouver, et vite. Emploie toutes les ressources dont tu disposes, je veux cette information au plus vite. (La jeune femme dégaina sa dague et se mit à jouer avec pour garder ses mains occupées.) J’avais déjà prévu de garder Aelin loin des problèmes de la couronne, mais si elle n’est pas capable de tenir sa langue, il nous faudra redoubler de vigilance. Commence par contacter Numéro Seize, je l’ai assigné à la résidence Stanti il y a deux ans, si quelqu’un peut te fournir un point de départ, ce sera lui. -Il en sera fait selon votre volonté, Maître. -Alors va. Et ne me déçois pas. » Selenia lui adressa un sourire indéchiffrable. Comme son père avant elle, ses obligations allaient la ronger de l’intérieur jusqu’à ne plus laisser qu’une coquille vide de sentiments et d’expressions seulement focalisée sur les intérêts du pays. Hiris se dit qu’il était bien dommage qu’une telle femme soit ainsi réduite à se cacher dans l’ombre et à naviguer entre les conspirations et les rumeurs. Il se leva souplement, s’inclina à nouveau et disparut sans bruit.
Avec ces informations en tête, il lui fut aisé de retrouver Numéro Seize. Le seul employé de la résidence Stanti engagé à l’époque que sa supérieure avait mentionnée se faisait appeler Saural Arten et était employé en tant que majordome. Il n’était pas midi, le lendemain, lorsque Hiris se présenta devant le portail de la résidence Stanti, un immense battant de bois gravé d’un aigle en plein vol. Il avait revêtu les nippes d’un coursier quelconque, chemise blanche et pantalon noir retenu par une ceinture de tissu bon marché. A son épaule pendait une besace où l’on pouvait voir quelques enveloppes cachetées ; un œil avisé pourrait même distinguer un ou deux sceaux de la noblesse. Des copies parfaites certes, mais des copies tout de même. Les deux gardes en faction portaient un uniforme aux couleurs des Stanti, bleu et argent. Ils croisèrent leurs longues lances d’un même mouvement pour barrer le passage à Hiris. « Halte-là !, lança celui de gauche. -Qu’est-ce que tu veux ? », demanda celui de droite. L’espion esquissa une rapide révérence et leur montra brièvement une missive. Tout ce que les gardes purent distinguer était la couleur du sceau, un rouge profond qui ressemblait étrangement à la couleur du sceau royal. Hiris comptait sur le fait qu’ils ne réfléchiraient pas trop en apercevant le sceau et le laisserait passer, même s’ils n’étaient pas sûrs de l’expéditeur du message. Deux pauvres gardes ne pouvaient refuser l’entrée à un émissaire royal, après tout. Les deux gardes froncèrent les sourcils sous l’effort que leur demandait l’analyse de la situation et se concertèrent du regard. Le garde de gauche hocha la tête, les lances se relevèrent, le portail s’ouvrit, et l’espion pénétra dans la propriété. Hiris se retrouva au milieu d’une large allée sablonneuse bordée de hauts tilleuls. Les fleurs de ces arbres faisaient d’excellentes infusions, mais en cette saison seules les nouvelles feuilles ayant récemment poussé sous le retour du printemps recouvraient les branches. En dehors d’une armée de jardiniers qui s’occupaient des arbres, arbustes et massifs de fleurs du parc, l’endroit était vide. L’espion remonta l’allée au petit trot pour paraître pressé, la besace battant contre sa hanche, et fit le tour de la propriété pour se présenter à l’entrée de service. Là, cuisiniers et domestiques lui lancèrent à peine un regard méprisant avant de retourner à leurs occupations. Un jeune garçon en livrée l’aperçu dans l’encadrement de la porte et s’approcha de lui après avoir jeté un coup d’œil hésitant aux autres personnes présentes dans la pièce. « Vous cherchez quelqu’un ? -Oui, j’ai une lettre à délivrer », répondit Hiris d’un ton enjoué en fouillant dans son sac pour y retrouver la missive qu’il avait déjà montrée aux gardes. Le jeune domestique regarda à nouveau autour de lui, mais personne ne s’intéressait à eux, il fit donc mine de s’emparer du parchemin que l’espion fit rapidement disparaître dans son sac. « Désolé, je suis censé le délivrer en main propre… Mais je peux peut-être me contenter du majordome, compléta Hiris sur le ton de la confidence, comme s’il prenait un gros risque en faisant ceci. -Oh, je comprends ! Attendez ici, je vais aller le chercher. » Le garçon détala. Hiris recula de quelques pas pour flâner dans le jardin en attendant que Numéro Seize – ou Saural Arten, pour ce que cela changeait – se manifeste. Un homme d’une cinquantaine d’années aux cheveux grisonnant et à la barbe bien taillée arriva quelques minutes plus tard ; il congédia le jeune domestique d’un signe de main. Le majordome fronça les sourcils en voyant Hiris, un homme frêle, de haute taille, qui n’avait pas dépassé les quarante ans. Il s’était rasé de près avant de venir, mais ses boucles brunes retombaient en désordre après sa petite course un peu plus tôt. « Qui êtes-vous ? », demanda Seize/Arten, suspicieux. Hiris plongea la main dans le col de sa chemise pour en sortir un petit médaillon noir incrusté d’une goutte en argent. Pour n’importe qui, il s’agissait d’un simple bijou quelconque. Les agents de la Dame Grise, eux, s’en servaient pour se reconnaître. Seize/Arten haussa les sourcils, surpris. « Je vois. On m’a dit que vous aviez une missive à me remettre ? -C’est exact. Tenez, la voici. » Cette fois-ci, Hiris ne fouilla pas dans son sac mais sorti une feuille de papier pliée serré et cacheté d’un sceau de cire grise frappé d’une goutte de sous sa tunique. La lettre disparu rapidement sous la veste du majordome, et celui-ci lui adressa un signe de tête entendu. Il plaça ensuite une pièce de cuivre dans la main de l’espion comme il l’aurait eu fait si Hiris avait été un vrai coursier, au cas où quelqu’un eût aperçu leur échange. Hiris s’inclina respectueusement et refit le chemin en sens inverse pour sortir de la propriété des Stanti.
Le Rossignol. Demain soir. Tels étaient les quelques mots inscrits sur le parchemin qu’il avait remis à Seize/Arten la veille. Hiris lui donnait rendez-vous dans une taverne malfamée des Fanges. Repaire de voleurs et d’assassins en tout genre, personne n’y posait de question, et la bière y était buvable. L’espion s’y rendit au coucher du soleil. Les échoppes fermaient, les tavernes se remplissaient peu à peu. Hiris pénétra dans Le Rossignol en fronçant le nez à cause des relents de sueur, de tabac et d’alcool qui le frappèrent de plein fouet à peine eut il mit un pied dans la pièce principale. L’endroit était sombre, étroit et enfumé. Hiris imaginait mal que l’on puisse se rendre ici par plaisir. L’espion abaissa son capuchon une fois à l’intérieur ; les clients éparpillés dans la salle lui jetèrent un rapide coup d’œil et se désintéressèrent de lui aussitôt. Des gouttes de pluie tombaient de ses vêtements à chaque pas alors qu’il traversait la pièce en direction d’un escalier à demi caché dans l’ombre. Le propriétaire des lieux le suivit des yeux d’un air suspicieux mais n’intervint pas. Une dizaine de marches raides et mal dégrossies menaient à une coursive sombre qui courrait tout autour de la pièce. Là, les tables étaient plus espacées, offrant une certaine intimité aux clients qui venaient au Rossignol pour faire affaires. Le silence se fit lorsque Hiris posa un pied à l’étage. Un groupe de quatre hommes était attablé au bout du couloir, un couple se trouvait près des escaliers. Personne ne tourna la tête vers lui, mais l’espion savait que chacun d’entre eux l’observait du coin de l’œil. Il les ignora. Hiris longea la coursive qui surplombait le rez-de-chaussée sur trois côtés jusqu’à une table à l’opposé du côté où se trouvait les escaliers. Un gamin posa une chope de bière brune sur la table quelques minutes plus tard. L’espion paya la bière et donna une pièce de cuivre supplémentaire au gamin. Seize/Arten arriva une heure plus tard. Hiris le vit entrer depuis son poste d’observation et se diriger directement vers les escaliers. Quelques instants plus tard, il se laissait tomber en face de lui. Le faux majordome ne retira pas son capuchon : personne ici ne devait apercevoir son visage. « A quoi rime tout ceci ? Quitter la maison Stanti la nuit ne passe pas inaperçu, même pour un domestique haut placé. » Il semblait particulièrement ennuyé d’être là. Si le sceau de la Dame Grise n’avait pas été sur la missive, il ne serait jamais venu, Hiris en était certain. Peut-être appréciait-il la vie simple et oisive d’un majordome d’une grande famille. « Vous m’en voyez navré, répliqua Hiris d’un ton indifférent. Mais la Dame Grise a besoin d’informations et m’a expressément demandé de commencer par vous. » L’autre homme se renfrogna. Il avait hâte de partir de cet endroit où il ne pouvait se permettre d’être vu. Hiris ne put retenir un soupir exaspéré devant l’attitude de Seize/Arten. « Très bien, qu’est-ce que vous voulez savoir alors ? Qu’on en finisse au plus vite. -Je suppose que vous avez entendu parler… d’une certaine union. (Le faux domestique hocha la tête sous son capuchon noir.) Eh bien vous n’êtes pas le seul. Je veux savoir comment l’information a filtré. Y-a-t-il quelqu’un dans la résidence Stanti - employé, cousin, invité – qui aurait pu en parler à l’extérieur pour une quelconque raison ? » Seize/Arten haussa les épaules. « Ce manoir est un nid de vipères, ils se chamaillent pour tout et n’importe quoi, mais peu de gens ont cette information, Aelin n’en a parlé qu’à une poignée de personnes. Je ne suis d’ailleurs pas censé savoir ça. Mais Jesa Firis, la servante d’Aelin parle beaucoup et à n’importe qui. C’est même d’elle que je tiens l’information. A votre place, j’irai creuser de ce côté-là. » Le gamin de tout à l’heure revint à ce moment-là et posa une seconde chope de bière sur plateau de bois grossier, devant le faux majordome qui fit exactement la même chose que Hiris un peu plus tôt dans la soirée. Une fois le garçon parti, Hiris se leva et remonta son capuchon. « Je vous remercie. Passez une bonne soirée. » L’espion inclina légèrement la tête en guise de salut et quitta Le Rossignol.
La pièce était sombre et humide, loin dans les sous-sols du Haut-Château qui s’étirait vers le ciel autant que sous la terre. Les murs aux joints couverts de mousse suintaient d’humidité. Le sol glissait sous ses bottes légères tandis qu’il marchait tranquillement autour de la chaise placée au centre de la pièce – et de la personne qui était attachée dessus. La jeune femme avait arrêté de se débattre depuis une dizaine de minutes, mais Hiris voulait la pousser dans ses derniers retranchements. Des sanglots étouffés lui parvenaient de sous le sac en toile de jute qui recouvrait la tête de Jesa Firis. Il patienta encore plusieurs minutes avant de retirer brutalement le sac. La lumière diffusée par une unique lanterne accrochée à un crochet au plafond était ténue, mais après la noirceur du sac de toile, ce fut suffisant pour aveugler Jesa. Elle avait presque trente ans mais n’était toujours pas mariée. Elle n’avait pas de dot à apporter à un mariage. Après tout, elle n’était qu’une servante, même si elle était au service d’Aelin Stanti. La femme renifla et hoqueta. « Qui êtes-vous ? Qu’est-ce que vous me voulez ? » Hiris se tenait dans son dos, elle essaya de tourner la tête, mais il s’était placé dans l’angle mort de son champ de vision. Ses longs cheveux blonds étaient collés par la sueur, l’humidité et les larmes qui roulaient sur les joues de Jesa. L’espion avait attaché ses mains dans le dos de la servante d’une manière particulièrement désagréable et ses chevilles étaient liées aux pieds de la chaise. Hiris s’avança de deux pas, restant toujours derrière sa captive, et lui saisit la nuque pour l’immobiliser avant de se pencher et de murmurer à son oreille d’un ton menaçant : « Je veux savoir si tu as parlé du mariage de ta maîtresse et du Roi à qui que ce soit. » Hiris poussa la servante avant de la lâcher. Ses gémissements redoublèrent ; il contourna la chaise et la gifla. Elle devait avoir plus peur de lui que de ce que pourrait lui faire Aelin si elle apprenait que sa servante avait éventé une telle information. Mais celle-ci secoua résolument la tête. « Je ne vois pas de quoi vous parlez. Jamais je ne ferai une telle chose ! » Ils continuèrent ainsi pendant de longues heures. Lorsque l’espion estima que le soleil se levait, il se pencha au-dessus de la femme et plaça un doigt sous son menton pour relever son visage tuméfié. La lèvre supérieure avait éclaté, ses pommettes étaient meurtries, un mélange de sang et de mucus s’écoulait de ses narines et son œil gauche avait tellement enflé qu’il lui était impossible de l’ouvrir. « Bien. Tu viens de laisser passer ta chance. Ma prochaine visite sera beaucoup moins agréable, crois-moi. »
Part VII - Spoiler:
Et ainsi qu’il l’avait prévenue, sa seconde visite fut beaucoup moins agréable pour Jesa Firis. Au coucher du soleil, Hiris revint voir sa captive. Elle avait passé la journée dans une cellule sombre et humide, et n’avait reçu qu’un maigre fond d’eau. L’espion longea les couloirs noirs et aveugle, tenant une torche bien haut pour éclairer ses pas sur le sol de pierre irrégulier. Dans le profond silence des couloirs obscurs, seuls résonnaient les sanglots étouffés des prisonniers, le raclement des chaînes et l’écho des pas de Hiris. Sur son passage, des prisonniers blafards se protégeaient les yeux en gémissant face à la soudaine lumière. Arrivé devant la cellule de Jesa Firis, l’espion plaça la torche dans un support de fer riveté au mur avant de s’adosser aux pierres humides. La suivante refusait catégoriquement de le regarder. Comme si l’ignorer le ferait disparaître. Malheureusement pour elle, ce n’était pas ainsi que les choses se passaient en Ayalÿa et Hiris Bais resta immobile à l’observer pendant de longues minutes. L’imagination de Jesa tournait à toute allure. Qu’allait-il lui faire cette fois ? Et que lui ferait subir Aelin si elle craquait ? Si elle donnait des informations à la couronne ? Car elle ne pouvait que se trouver dans les cachots du Haut-Château, un dédale immense enfoui loin dans le sol. Si elle l’avait pu, elle serait en train de pleurer de désespoir, mais son corps était tellement déshydraté que plus une seule larme ne coulait de ses yeux bouffis et brûlants depuis longtemps. La jeune servante ne voulait pas passer le reste de sa vie dans cette geôle immonde. Ses sanglots redoublèrent sous le regard indifférent de son tourmenteur. Sans raison apparente, celui-ci se décolla enfin du mur d’un mouvement souple et ouvrit la cellule à l’aide d’une grosse clef de fer noir qu’il produisit d’une poche secrète. Il portait un uniforme noir, une couleur criant qu’il ne voulait pas que des tâches de sang soient visibles sur ses vêtements. L’homme détacha les chaînes de Jesa de l’anneau enfoncé dans le mur, au fond de la cellule, et la traîna sans ménagement à sa suite, toujours muet. Plus elle avançait dans les couloirs, trébuchant à chaque pénible pas sur le sol traitre et glissant, plus elle paniquait : pourrait-elle endurer ce que l’homme lui réservait ? Elle en doutait fortement. Il la poussa dans une pièce dont la vive lumière l’aveugla un long moment après l’obscurité des couloirs. Lorsque ses yeux s’habituèrent enfin à la lumière – qui n’était pas si éblouissante que cela, juste quelques torches accrochées aux murs – elle était attachée sur ce qu’elle pensa être une table dont le métal, glacé contre son dos, la fit frissonner. Ses poignets et ses chevilles étaient attachés aux quatre coins de la plaque de fer et l’homme se tenait tout près d’elle sur sa gauche. Tournant la tête au maximum, elle distingua une autre table, bien plus petite, sur laquelle étaient disposés des dizaines d’instruments tranchants, contondants et bien d’autres encore. La jeune femme déglutit difficilement à cette vue et ferma fort les yeux. Si cela n’avait pas marché avec Hiris, cela ne marcherait pas plus avec le plateau. Hiris retint un soupir. Torturer les gamines ne l’intéressait pas plus que ça, mais ça faisait partie du boulot. Enfin, tous les ordres de la Dame faisaient partie du boulot, et ce quels qu’ils fussent, alors si elle lui demandait d’obtenir des informations par tous les moyens, ainsi en serait-il. La hanche appuyée contre le bord du lit de fer, Hiris l’observa encore un long moment, laissant l’inquiétude de la jeune fille commencer son travail. L’attente pouvait être pire que le châtiment lui-même. Il voyait bien qu’elle essayait à tout prix de refouler ses sanglots – en vain. Les poings serrés, ses ongles s’enfonçaient profondément dans ses paumes crasseuses. Il se releva avec un soupir et tendit la main vers le plateau tout proche. Il était plus que temps de se mettre au travail.
« Eh bien, la servante n’aura pas résisté bien longtemps. » Hiris haussa un sourcil. Pour sa part, l’espion avait trouvé Jesa plutôt déterminée pour une simple servante. Lui arracher les informations qu’il voulait obtenir lui avait tout de même pris plusieurs heures et avait coûté quelques dents et ongles à la jeune femme. Ainsi peut-être que quelques coupures pas très agréables. « Assez longtemps pour me faire perdre bien trop d’heures pour un renseignement aussi moindre. -Au moins on sait d’où vient la fuite, plus besoin de s’inquiéter pour ça. A dire vrai, j’aurai été étonnée que cela vienne d’Aelin, je n’ai pas l’impression que ce soit son genre. -Quand même, pourquoi avoir raconté ça à autant de personnes ? » Selenia haussa les épaules d’un air indifférent. Assise derrière son bureau, elle rédigeait un rapport à l’attention du roi. « Les femmes comme elle ont besoin de reconnaissance. Prouver qu’elles ont accès à de telles informations les place au-dessus des serviteurs standards. Elles font parties des confidences, elles ont accès aux derniers ragots. Si tu veux mon avis, les espions de Jiar n’ont même pas eu besoin de lui acheter l’information, cette idiote a sûrement été ravie de tout leur raconter. » Hiris reposa la fiole de verre qu’il examinait et pris place en face de sa supérieure. Devait-il poursuivre l’interrogatoire plus avant ? La jeune femme secoua la tête en signe de dénégation. « Ce ne sera pas nécessaire, il est peu probable qu’il s’agisse d’autre chose. » Elle poserait la question à Jiar. Après tout, le nouveau seigneur de La Tour-Au-Dessus-Des-Flots lui devait bien ça. Rien que de penser au nouveau titre de Jiar la fit se renfrogner. Elle laissa échapper un grognement mécontent sous le regard étonné de son second mais ne quitta pas ses parchemins des yeux. « Bon travail, Hiris. Comme d’habitude. (Elle lui jeta un bref coup d’œil.) Tu peux disposer. Je t’appellerai lorsque j’aurai de nouveau besoin de toi. » L’espion se leva, s’inclina brièvement et quitta les appartements de la Dame Grise, la laissant rédiger ses rapports à la lumière d’un chandelier. Quelques minutes après le départ de son second, Selenia poussa un profond soupir, lança sa plume à l’autre bout du plan de travail et frotta son visage fatigué. D’un mouvement sec, elle ferma son encrier pour préserver le restant d’encre. L’espionne se leva de la chaise inconfortable – elle y avait ajouté un épais coussin mais cela ne changeait pas grand-chose – sur laquelle elle venait de passer les deux dernières heures et se dirigea vers la fenêtre ouverte derrière elle qui laissait entrer la faible lueur de la Lune. D’après sa position, la deuxième heure après minuit était passée depuis longtemps. Un peu tard pour aller voir le roi ; cela attendrait bien encore quelques heures. Avec un nouveau soupir, elle ferma hermétiquement les volets et la fenêtre de son bureau avant de quitter la pièce pour aller dans son laboratoire où elle s’empara d’une fiole au bouchon de cire blanche. Un somnifère plutôt puissant. Quelque chose lui disait que cette nuit encore elle aurait du mal à s’endormir. Et si elle s’endormait tout de même, ses rêves seraient certainement peuplés d’horribles visions. La jeune femme eut un moment d’hésitation : rester éveillée et laisser la fatigue s’accumuler ou faire des cauchemars pour le reste de la nuit ? Selenia soupira. Les mauvais rêves, elle pouvait s’en remettre, le manque de sommeil risquait de la faire tuer. Eh bien, je suppose que le choix est vite fait, dans ce cas-là. L’espionne s’assura que les fenêtres étaient bien fermées avant de quitter la pièce qu’elle ferma à clef. Trois verrous sécurisaient l’épaisse porte renforcée de métal. Personne à part elle ne devait avoir accès à ce laboratoire, jamais. Quelques secondes plus tard, elle posait le somnifère sur sa table de nuit et plaçait les clefs du laboratoire dans la cachette située dans le pied de la table. Une fois la fenêtre sécurisée, la jeune femme se dévêtit, ne gardant que sa culotte, et enfila la légère chemise de lin qu’elle portait pour dormir avant de se glisser sous les draps, repoussant couvertures et fourrures pour ne pas avoir trop chaud. Elle resta un long moment allongée à la lueur d’une chandelle, la tête posée sur son oreiller de plume, les yeux fixés sur le plafond. Elle décida finalement de prendre le somnifère qu’elle avait préparé, souffla la bougie et sombra dans le sommeil en quelques minutes.
Selenia se réveilla en sueur aux premières lueurs de l’aube, quelques heures seulement après s’être enfoncée dans l’inconscience. Les dernières vapeurs de son somnifère emportaient avec elles les souvenirs de ses cauchemars. Seuls persistaient un sentiment d’oppression et de terreur intense. Son cœur battait si vite qu’elle avait l’impression qu’il essayait de s’échapper de sa cage thoracique et elle pouvait sentir une goutte de transpiration glacée couler le long de sa joue. Ou était-ce une larme ? Elle était bien incapable de le dire. Le jeune femme se redressa en frissonnant dans l’air frais de sa chambre et essuya son visage humide à l’aide de sa manche. Elle se traîna ensuite jusqu’à la cheminée pour y raviver le feu qu’elle avait étouffé pour la nuit et s’assit devant dans l’espoir de réchauffer ses os glacés. Mais si sa peau et sa chemise finirent par sécher, la sensation de froid qu’elle ressentait à l’intérieur de son corps ne se dissipa pas totalement. Elle sentait de vagues réminiscences de ses cauchemars ramper derrière son crâne, envoyant de temps à autre des frissons glacés le long de sa colonne vertébrale. Il lui faudrait quelques heures, un bain et un repas chauds pour se débarrasser de ce mal-être qui rampait sous sa peau.
Dernière édition par Rin le Dim 28 Sep 2014 - 9:19, édité 1 fois |
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