C'était avant, avant cet été, avant cette année.
On ne se voyait qu'une seule fois par an, pour l'anniversaire d'un ami. Systématiquement, j'espérais que tu viennes, que je n'aie pas à attendre une année de plus pour te revoir. Et lorsque tu apparaissais, ma gorge se serrait, mon cœur s'effondrait sur lui même, je te regardais le plus longtemps que je le pouvais avant que tu plonges tes yeux dans les miens, avant que j'aie à détourner le regard, avant que les autres remarquent quelque chose. Puis je faisais comme si de rien n'était.
Je ne me débrouillais aucunement pour me coller à toi dans la piscine. Je ne pouvais pas te faire ça. Je ne sais pas pourquoi. Non pas que je n'avais pas envie de venir vers toi, de poser mes lèvres sur les tiennes, mais le seul fait que tu puisses mal réagir, ou bien les autres d'ailleurs, m'effrayait.
Je m'asseyais où il y avait de la place. Que je fusse à côté de toi ou pas, je ne laissais rien transparaître, je riais à la blague d'untel, je discutais avec un autre. Je n'osais presque pas tourner la tête vers toi, de crainte de croiser ton regard. Je tentais de brefs coups d'œil, et dès que j'apercevais ta silhouette, mon cœur se contractait encore, ma gorge se nouait toujours, et mes yeux ne pouvaient pas se détacher de toi. Les rares fois où tu me parlais, un frisson me courait dans le dos, un sourire idiot me venait aux lèvres, un sourire crispé que j'essayais de dissimuler tant bien que mal. Ta voix est un doux poison, que j'avalais avec délice et douleur à la fois, et qui me laissait un goût amer systématiquement, me laissant face à ce terrible dilemme.
Le soir, nous convenions tous ensemble de ne pas dormir, de profiter de la nuit. Nous nous promenions dehors, à la lumière de nos téléphones. D'ordinaire, je n'aime pas le noir. Je n'aime pas ne pas savoir où je met les pieds et ce qu'il y a devant moi. Mais là, je n'avais pas peur, puisque je savais que tu étais là. Je sentais ta présence, elle me rassurait. Je me disais que si il arrivait quelque chose, je pouvais me réfugier près de toi, dans tes bras. Bien sûr, il ne s'est jamais rien passé. Peut être qu'un chien nous avait fait peur une fois, mais personne n'est mort d'avoir couru sur cent-cinquante mètres.
Nous nous endormions généralement à l'aube, et nous réveillions peut être trois ou quatre heures plus tard. Je me couchais près de toi, je m'imaginais que je sentais ton parfum tellement tu étais près de moi, que je n'avais qu'à tendre le bras pour l'enrouler autour de tes épaules. A mon réveil, tu dormais toujours. Je te regardais pendant de longues minutes, détaillant ton visage dans le moindre détail, observant les formes de ton corps et la position dans laquelle tu dormais. Je comptais tes respirations, je contemplais inlassablement ta poitrine se lever, se baisser, et ainsi de suite, jusqu'à ce que tu bouges ou que je reporte mon attention sur tes traits. Et lorsque tu ouvrais les yeux, je faisais semblant de les ouvrir avec toi, incapable de continuer à garder les yeux clos te sachant réveillé. Puis nous nous quittions dans la matinée. Je te touchais une dernière fois en te disant au revoir, et je te regardais te retourner et t'éclipser avant de soupirer, le même sourire aux lèvres, en pensant qu'on avait fait un pas l'un vers l'autre, alors qu'il n'en était rien.
Chaque année, la même chose se produisait. Chaque année, je tombais amoureux de toi, toujours à la même période, toujours le premier week-end des vacances d'été. Et chaque année, en partant, j'emportais ton souvenir pour une durée de deux mois, deux longs mois de vacances … Chaque nuit je pensais à toi en me couchant seul dans mon lit, chaque matin je revoyais tes yeux s'ouvrir. Chaque matin j'avais envie de me lever avec toi, d'ouvrir la fenêtre, de te regarder dormir encore un peu en sentant la fraîcheur de l'aube glisser sur mes joues. Aller cueillir la rosée du matin, comme tu me l'as déclamé quand je t'avais dit qu'un jour je m'étais levé à huit heures pendant les vacances, mais la cueillir en tenant ta main dans la mienne.
Et à chaque fois, je t'oubliais vers la rentrée. Non pas que je t'oubliais totalement, mais mes sentiments s'estompaient, progressivement, et je pensais de moins en moins souvent à toi.
Mais cette fois ci, c'est différent. La rentrée approche, je termine de faire mes cartons. Je dois partir loin pour mes études. Les seules choses que je laisse chez moi sont mon lit, mon bureau, et ton souvenir, celui qui m'avait accompagné pendant tant de nuits. Cette fois ci, je dois t'oublier définitivement. Je ne t'embarque pas dans mes bagages, ni dans ma tête, ni dans mes rêves. Je te laisse ici, en espérant que tu te seras évaporé avant mon retour. Nous ne pourrons plus nous revoir. Je ne pourrai plus t'aimer encore.
En cette fin de vacances, je t'écris cette lettre, pour te dire qu'il fut un temps où je t'aimais, plusieurs années, à plusieurs reprises, mais toujours au même endroit. Cet endroit que je ne reverrais sans doute plus jamais, ou du moins plus à cette occasion.
Mon idylle imaginaire s'arrête ici. Cette histoire est dorénavant du passé. Je n'ai pas d'autre choix que de t'oublier. Tu sais Clément, on est grands maintenant.
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Merci à ceux qui ont eu le courage de lire jusqu'au bout.